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Droits des occupants en cas de démolition du logement - 2

Démolition dans le cadre d'une opération d'aménagement

En cas d’opération d’aménagement, des règles protectrices existent afin de tenir compte de la situation des habitants des locaux destinés à la démolition.

La personne publique ayant pris l’initiative de la réalisation de l’une des opérations d’aménagement définies dans le livre III du Code de l’Urbanisme doit obligatoirement assurer le relogement (CU : L.314-1).

Action ou opération

La définition de l’aménagement est donnée par l’article L.300-1 du Code de l’urbanisme.
Sa portée est très vaste et manque à l’évidence de clarté et de précision : il s’agit des actions ou opérations d’aménagement qui ont pour objet de mettre en œuvre un projet urbain, une politique de l’habitat, d’organiser le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou mettre en valeur la patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels.
La collectivité publique doit poursuivre l’un de ces buts.

Dans la mesure où l’article L.314-1 n’évoque pas les actions d’aménagements mais uniquement les opérations, faut-il déjà considérer que la protection des occupants telle qu’elle est organisée par le Code de l’urbanisme a une portée pratique de moindre importance ?

Comment tracer une frontière entre « opérations » et « actions » ?
L’opération est constituée d’un ensemble d’actions. Ainsi, pour qu’il y ait opération, il faut prendre en considération son degré de complexité, autrement dit, il faut la combinaison d’interventions diverses sur le tissu urbain.
L’opération doit également traduire et mettre en œuvre une volonté d’aménagement (c’est-à-dire la réalisation d’équipements d’une certaine importance), une intervention de la collectivité publique sur le foncier et que cette intervention ait une incidence urbaine forte (CE : 28.7.93 « commune de Chamonix Mont-Blanc » (CE : 28.7.93 ; conclusions du commissaire Lavisgnes).
La distinction opérée entre une « action » et une « opération » relève donc de l’importance du projet.

Cette distinction entre l’opération d’aménagement et la simple action peut avoir des conséquences fortes sur l’obligation de relogement.

Si les procédures types ZAC, les opérations en secteur sauvegardé ou de restauration immobilière relèvent sans ambiguïté des dispositions protectrices prévues par le code de l’urbanisme (car définies comme tel dans le CU), font l’objet d’un régime particulier. Il s’agit notamment des opérations programmées de l’amélioration de l’habitat (OPAH), des opérations de résorption de l’habitat insalubre (RHI) ou encore des reconstructions-démolitions de logements locatifs sociaux.

Une lecture littérale de ce texte conduirait à penser que l’obligation de relogement ne s’applique qu’en cas de ZAC, d’une opération de conservation, de restauration et de mise en valeur des secteurs sauvegardés ou d’une opération de restauration immobilière.
Une intervention plus modeste ne serait pas concernée par cette obligation de relogement ? Ce qui aurait pour conséquence de réduire le champ d’application de cette obligation.

Une circulaire du 31 juillet 1991 commentant la loi d’orientation pour la ville définit les actions d’aménagement comme « les actions de développement social des quartiers et les actions d’accompagnement de la politique du logement telles que les opérations programmées de l’amélioration de l’habitat OPAH ou les opérations de résorption de l’habitat insalubre ».

En appliquant ce raisonnement, seuls les occupants d’immeubles touchés par une « opération d’aménagement » seraient protégés par les dispositions du Code de l’urbanisme alors que les autres en seraient exclus.

Cette imprécision textuelle devrait conduire à une interprétation large des textes afin de mieux protéger les habitants selon la doctrine qui estime que « considérant surtout l’incohérence qu’il y aurait à traiter différemment les occupants selon l’intervention qui les touche, il faut à notre sens considérer que les « opérations d’aménagement » visées par l’article L.314-1 Code de l’Urbanisme correspondent aux « actions et opérations d’aménagement » de l’article L.300-1 Code de l’Urbanisme » (G. Godfrin « Aménagement urbain et bâti existant »).

Toutefois, l’interrogation subsiste en l’absence de jurisprudence.

Détermination de la personne responsable de la protection des occupants

Personne publique à l’initiative de l’opération

L’initiateur est « la personne qui est à l’origine d’un projet d’aménagement urbain et qui a engagé les diverses procédures nécessaire à sa mise en œuvre » (Godfrin).

C’est donc la personne publique qui a pris l’initiative de la réalisation de l’une de ces opérations qui est responsable des obligations de relogement, or, il arrive souvent que ce ne soit pas la même entité qui soit l’autorité compétente pour décider de la réalisation de telles opérations.
C’est le cas dans les ZAC où l’on distingue la personne publique à l’initiative de l’opération et celle qui décide de la création d’une telle zone. De la même manière, les responsabilités peuvent être diluées lorsque l’on se retrouve en présence d’EPCI ou d’agglomérations.

La personne publique initiatrice d’une opération d’aménagement est celle qui conçoit le projet, qui l’anime et qui coordonne l’intervention des différents acteurs et les procédures nécessaires à sa réalisation.
Cette logique devrait conduire à considérer la collectivité publique comme seule responsable du relogement des habitants concernés par l’opération.
Or, en pratique, la responsabilité peut être déléguée à d’autres personnes.

Aménageurs expropriants

Par le biais de la concession d’aménagement, la collectivité publique peut se décharger de ses responsabilités envers les occupants. En effet, l’aménageur peut être tenu de mettre en œuvre les relogements.
La concession d’aménagement est le contrat administratif par lequel une personne publique compétente en matière d’aménagement, confie à un opérateur public ou privé, la réalisation d’une opération d’aménagement.
Les missions confiées par la concession d’aménagement dépassent souvent la tâche première et il n’est pas rare que l’aménageur, personne publique ou semi-publique, ait à assumer un ensemble de missions urbaines et sociales qui concourent à la bonne exécution de la mission globale.

La concession d’aménagement ouvre ainsi la possibilité à des personnes privées (aménageurs, promoteurs, constructeurs), outre d’assurer la maîtrise d’ouvrage des travaux et équipements concourant à l’opération, et de réaliser toutes missions nécessaires à leur exécution.

Le concessionnaire peut ainsi être chargé par le concédant d’acquérir les biens nécessaires à la réalisation de l’opération, y compris, le cas échéant, par la voie d’expropriation ou de préemption (CU : L.300-4).
Le concessionnaire pourra procéder au relogement des occupants des immeubles inscrits dans le périmètre de l’opération, indépendamment de son statut de personne publique ou privée, dans le cas où il est devenu propriétaire des locaux.

Si les obligations incombent donc à la personne publique à l’initiative de l’opération d’aménagement ou au concessionnaire le cas échéant, les propriétaires (qui auront conservé leurs biens) pourront être associés.
Ainsi, les bailleurs sociaux, associés à l’opération, se voient logiquement confiées les modalités de relogement des occupants, notamment dans les chartes de relogement souvent prévues dans les conventions ANRU (CCH : L.442-6).

Pour qui s'applique le régime de protection ?

Régime de protection : contrepartie de l’atteinte à un droit
  • Propriétaire occupant : atteinte au droit de propriété
    C’est la contrepartie de l’utilisation de la procédure d’expropriation : le propriétaire exproprié peut demander réparation soit sous forme d’une indemnité pécuniaire, soit en demandant à être relogé.
  • Locataires : atteinte au droit de jouissance
    C’est en vertu de ce droit que les locataires peuvent exiger leur relogement. C’est le préjudice subi par l’obligation de quitter les lieux. L’éviction (provisoire ou définitive) trouble la jouissance paisible des locaux loués (atteinte au droit personnel de jouir de la chose louée).

En contrepartie du régime de protection institué, la personne responsable du relogement est en droit d’exiger le départ des occupants, lorsque les travaux le nécessitent (CU : L.314-2 et L.314-3).

Situation des occupants

Les occupants, au sens du présent chapitre, sont les propriétaires occupants et tous les titulaires d’un droit réel conférant l’usage (c’est-à-dire en plus des propriétaires, les usufruitiers, les preneurs de baux à construction, etc…), les locataires, les sous-locataires ou les occupants de bonne foi de locaux à usage d'habitation et de locaux d'hébergement constituant leur habitation principale, ainsi que les preneurs de baux professionnels, commerciaux, industriels et ruraux (CU : L.314-1 ; CCH : L.521-1).

Cette disposition vise tous ceux qui ont un droit à prétendre à l’occupation des locaux, il s’agit selon les cas d’un droit réel (droit de propriété, usufruit, bail à construction,...) ou personnel (bail d’habitation, contrat de sous-location, contrat de cession ou d’échanges de bail, droit au maintien dans les lieux).

Aucune distinction n’est ainsi opérée entre les différentes catégories d’occupants.
Il n’en existe pas plus entre les situations juridiques dans lesquelles se trouvent les locaux : il importe peu de savoir quelle est l’origine du droit, contractuelle (contrat de vente, bail) ou légale (droit au maintien dans les lieux).

Les règles de protection s’appliquent car il y a remise en cause de ces droits.

Propriétaire occupant

Situation du propriétaire occupant

L’application du régime de protection dépend du mode d’acquisition du bien par l’initiateur de l’opération d’aménagement (ou l’aménageur).

Non expropriation

Diverses situations sont envisageables :

  • le propriétaire occupant s’est associé à l’action ou l’opération d’aménagement ;
  • les locaux du propriétaire occupant ont été acquis à l’amiable ;
  • les locaux ont été acquis par préemption.

Dans tous ces cas, la dépossession du bien a été volontaire.
L’article L.314-1, al. 2 ne fait pas de distinction entre les différentes catégories de propriétaires occupants, toutefois, il ne semble pas que ces propriétaires puissent bénéficier du régime de protection institué par le Code de l’Urbanisme, dans la mesure où les garanties prévues n’existent qu’en contrepartie d’une contrainte directe, d’un préjudice subi, qui est l’obligation de quitter les lieux.

Expropriation

La solution est plus évidente en cas d’expropriation.
Dans cette situation, le propriétaire occupant s’est vu imposé son éviction définitive et le transfert de sa propriété.
Les règles de l’expropriation s’appliquent, et le droit au relogement ou à la réinstallation équivaut à l’indemnisation prévue (Code de l’Expropriation : L.15-1).

Droits du propriétaire occupant

Droit au relogement

C’est à l’expropriant qu’il revient logiquement la charge d’assurer le relogement du propriétaire occupant des locaux objets de l’expropriation.
Les locaux proposés doivent remplir certaines conditions :

  • les locaux offerts doivent correspondre aux normes minimales d’habitabilité (décret du 30.1.02 relatif aux caractéristiques du logement décent) ;
  • les locaux doivent être adaptés aux « besoins personnels et familiaux », aux possibilités financières de l’exproprié et doivent répondre à des conditions de localisation (loi 1.9.48 : art. 13 bis).

L’expropriant doit faire au moins deux propositions de relogement.
L’offre de relogement définitive doit être notifiée au moins six mois à l’avance, l’occupant doit faire connaître sa décision dans les deux mois, son silence valant acceptation.
Enfin, à compter de l’acceptation de l’offre de relogement, l’occupant doit quitter les lieux dans le délai d’un mois (Code de l’Expropriation. : L.15-1).

Les deux offres de relogement ne peuvent porter que sur du relogement définitif, il n’est pas possible de prévoir un relogement provisoire en attendant de fournir à l’exproprié un relogement définitif.
Tant que les offres de relogement définitif n’ont pas été proposées par l’expropriant, l’occupant pourra donc rester dans les lieux.

Si l’occupant refuse les deux offres, il perd son droit au relogement, toutefois, il a toujours un droit à indemnisation (qui se fera dans ce cas en espèce).
L’évacuation aura lieu dans le mois suivant le paiement ou la consignation de l’indemnité d’expropriation (Code de l’Expropriation : L.15-1). A cette indemnité principale, correspondant à la valeur vénale des locaux, s’ajoute l’indemnité de remploi, qui couvre les frais exposés pour l’acquisition de locaux de même nature (Code de l’Expropriation  : R.13-46).
L’intégralité du préjudice direct, matériel et certain doit être prise en charge par l’expropriant (Code de l’Expropriation : L.13-13).

Droits de priorité (CU : L.314-2 al. 1 ; Code de l’Expropriation  L.14-1 et L.14-2)

Si les ressources du propriétaire occupant sont modestes et ne dépassent pas les plafonds fixés pour l’attribution de logements HLM, il dispose de droits de priorité pour être relogé en  qualité de locataire dans un logement HLM, « ou dans un local dont le loyer n’excède pas celui d’un local HLM de même consistance », ou pour obtenir un logement social en accession à la propriété.
Il bénéficie également d’un droit de préférence pour l’octroi de prêts à la construction, ainsi que la priorité pour l’attribution (en tant que locataire) ou l’acquisition de locaux situés dans le périmètre de l’action ou opération d’aménagement, ou encore pour l’acquisition de parts ou actions dans une société d’attribution construisant dans le périmètre.

Droits des locataires

En contrepartie de son éviction, le locataire, quel que soit son statut privé ou social, possède des droits proches de ceux du propriétaire occupant (cf. ci-dessus) : offrir au locataire des locaux satisfaisant aux normes minimales d’habitabilité, correspondant aux besoins et aux ressources du locataire évincé et répondant à certaines conditions de localisation.
Le loyer ne doit pas dépasser les normes HLM (Code de l'Expropriation. : L.14-3) : il s’agit d’une règle vague destinée à garantir le locataire évincé et éviter que le propriétaire soit libéré de son obligation alors qu’il proposerait un loyer trop élevé pour le locataire.
Le propriétaire doit faire deux offres de relogement et le locataire dispose de deux mois pour accepter (son silence vaut acceptation, CU : L.314-7, al. 1).
Les offres doivent être faites « au moins six mois à l’avance » et l’évacuation devra s’opérer à la fin de ce délai.

Il bénéficie également de trois droits de priorité (cf. droit de priorité des propriétaires occupants) :

  • priorité dans l’attribution de logements sociaux ou pour l’acquisition de tels logements en accession à la propriété (Code de l’Expropriation : L.14.1, CU : L.314-2 al. 1) ;
  • priorité (« droit de préférence ») pour l’octroi de prêts à la construction (Code de l'Expropriation : L.4-2 et CU : L.314-2 al.1) ;
  • priorité pour l’attribution (en tant que locataire) ou l’acquisition de locaux situés dans le périmètre de l’action ou opération d’aménagement, ou encore pour l’acquisition de parts ou actions dans une société d’attribution construisant dans le périmètre (CU : L.314-2, al. 1).

Conclusion

La démolition de locaux d’habitation dans le cadre d’une opération d’aménagement implique pour la personne publique initiatrice (ou le concessionnaire expropriant, le cas échéant) l’obligation de relogement (assortie de droits de priorité) des occupants évincés.

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